jeudi 31 juillet 2014

Entreprises françaises à l'étranger: les clés de la négociation public-privé



Si les grandes entreprises françaises jouissent d’une cote de confiance positive à l’international, elles redoublent malgré tout d’efforts permanents afin de conquérir des marchés étrangers attractifs et décrocher des marchés publics à l’international. Dans cette aventure, les clefs de la négociation sont aussi bien techniques que culturelles.

Les outils techniques de la joint-venture maitrisée

Alors que la conquête des marchés étrangers s’impose comme une nécessité pour les entreprises françaises, la question des méthodes de pénétration de ces marchés se pose. C’est avec la conviction que « l’union fait la force », que l’association à un partenaire local public (ou privé) s’avère être un des moyens les plus efficaces afin de se positionner hors de nos frontières. La joint-venture apparaît comme l’outil dédié à ce mode de co-entreprise, à l’instar de Total qui a fondé sa première joint-venture, Qapco, avec le Qatar en 1974. Les relations entre le géant pétrolier français et le pays de l’or noir s’entretiennent grâce à ce partenariat particulier ; Qatofin a également été créée en 2002 à travers une autre joint-venture.

Qui dit co-entreprise, dit solide connaissance de la compagnie partenaire : de l’état financier à un éventuel passé judiciaire, du fonctionnement à l’esprit d’entreprise, les points à contrôler lors de la « due diligence » sont nombreux. L’expérience de certaines entreprises, comme Volkswagen en Chine, incite à la prudence concernant les risques pesant sur les secrets industriels et les brevets, surtout lorsqu‘un Etat est partie prenante. Ce sujet occupe aussi les esprits de tous les acteurs de la vente des Rafale de Dassault à l’Etat indien, où les questions des offsets et de transferts technologiques sont cruciales. Une prudence de rigueur alors que  l’entreprise française encouragerait un partenariat soutenu, via la joint-venture créée avec le groupe Reliance Industries

Il est vrai que ces accords sont le plus souvent conclus à l’issue de négociations de longue haleine : une étude publiée par la Banque Mondiale précise que la majeure partie des accords (85%) nécessitent plus de 6 mois de préparation. De plus, les entreprises doivent s’attendre à des contraintes parfois lourdes : limitation des remontées de dividendes, réinvestissement local, autant de raisons qui diminuent l’attrait des entreprises pour ce mode d’association : le groupe de conseil Bain, note une baisse de 25% par an en moyenne depuis les années 2000. En règle générale, les acteurs préfèrent avoir un contrôle total de leurs activités, car s’associer en joint-venture, c’est aussi accepter de ne détenir qu’une fraction des parts sociales, généralement la moitié.

C’est sur le terrain de la légitimité nationale que la joint-venture s’avère intéressante. Elle permet un traitement plus favorable que celui réservé aux investisseurs étrangers, qui s’implantent via une succursale ou une filiale. Le partenaire local permet de bénéficier d'une meilleure connaissance d’un marché aux pratiques parfois inconnues voire secrètes, des coutumes de l'administration et des concurrents. Cette démarche est prisée dans le milieu de l’industrie en témoigne Renault, qui a conclu un accord de joint-venture en partenariat avec la mairie de Moscou. Une manière d’accélérer son développement industriel sur un marché en expansion mais rude à pénétrer. Pour Renault, ce sont quelques 120 000 véhicules qui sont désormais produits par an dans cette filiale commune. Le défi qui fait appel à une connaissance aiguisée des codes du marché émergeant et à une faculté d’adaptation de l’entreprise.

Le défi du transculturalisme

L’exercice est particulièrement périlleux lorsqu’il s’agit de négocier directement avec un partenaire public ou étatique étranger, garant d’une identité nationale. C’est que ces « valeurs aussi fondamentales que l’identité nationale ou la souveraineté, lorsqu’elles sont remises en cause, peuvent faire facilement basculer la négociation en un combat sans merci », précise Jeswald Salacuse, expert de la négociation internationale. Thomas Savare, directeur général d’Oberthur Fiduciaire s’évertue lui aussi à saisir les subtilités de l’identité nationale pour permettre à son entreprise de conserver une position de leader sur le marché de l’impression de billets de banque. Symbole fondamental d’une nation en effet, le billet véhicule bien plus que sa valeur faciale, à commencer par une identité et des valeurs. Plus de 70 banques centrales font aujourd’hui appel à la french touch d’Oberthur Fiduciaire, « que l’entreprise instille savamment dans le design des billets, non pas pour se substituer à l’imagerie nationale, mais pour la sublimer », explique Thomas Savare. L’entreprise, par exemple, s’est récemment associée avec l’imprimerie de la banque nationale de Bulgarie au sein d’Oberthur Fiduciaire AD, afin d’imprimer conjointement la monnaie locale. 

La maîtrise des codes interculturels dans le monde des affaires prend une dimension toute particulière à l’heure de l’internationalisation des équipes de travail et des fusions transnationales. Une approche culturelle du management amorcée par Edwart T. Hall qui dans son article, « The silent language » publié dans la Harvard business Review en 1961, proposait un guide à l’usage des hommes d’affaires sur les routes du business international. Eviter les impairs, un objectif que s’est également fixé Guy Olivier Faure, sociologue, qui présente des clefs de compréhension notamment dans les relations de négociation franco-chinoises. Avec plus de 400 000 joint-ventures créées en 20 ans, les situations inconfortables progressent aussi de manière exponentielle. Les entreprises ont alors pour défi de dépasser « l’effet Babel » ou la confusion des langages, dénoncé par Franck Gauthey dans « Management interculturel : représentations et pratiques en question ». 

Une certaine conception de la mondialisation voudrait nous faire croire que les codes culturels du monde des affaires sont partout les mêmes, notamment via l’universel costume de l’homme d’affaires. Mais les entreprises sont peut-être les mieux placées pour savoir qu’il n’en est rien. Et sur cet aspect aussi, les sociétés françaises peuvent faire la différence.