dimanche 21 février 2016

François-Charles Oberthur Fiduciaire, l'hyperspécialisation comme gage d'excellence



Conséquence de choix stratégiques décisifs qui ont émaillé la vie de l’entreprise depuis sa création, l’hyperspécialisation actuelle d’Oberthur Fiduciaire est le résultat d’un long processus de maturation de la stratégie du groupe familial, aux regards des opportunités d’un marché en croissance, et d’évolutions technologiques décisives. 

Née d’une intuition sur le potentiel d’un imprimeur en faillite au début des années 1980, Oberthur Fiduciaire s’est inscrite en l’espace de trois décennies dans le trio de tête mondial des imprimeurs de haute sécurité et fournit aujourd’hui plus de 70 pays en billets de banque. Pourtant, Oberthur Fiduciaire n’a pas débuté ses activités par l’impression fiduciaire, mais dans l’impression tout court.

En tant qu’ancien cadre bancaire, Jean-Pierre Savare est naturellement sensible à l’activité d’impression fiduciaire, à laquelle il décide de se consacrer de plus en plus. « Dans une économie de marché, toute entreprise a intérêt à se concentrer sur les activités et les fonctions où elle est le plus douée », explique Michel Marchenay, professeur de gestion à l’université de Montpellier 1 dans son ouvrage « Management stratégique » (1). C’est manifestement la logique qu’a suivi Oberthur Fiduciaire depuis 1984, année du rachat des imprimeries Oberthur alors en faillite, par la famille Savare.

Se recentrer et financer la spécialisation
En 2008, François-Charles Oberthur Fiduciaire (FCOF) réalise la première étape de son processus de spécialisation, le retrait de la cotation de sa filiale Oberthur Technologies, en lançant une OPA sur les 21,35 % titres d’Oberthur Technologies que la maison-mère ne possède pas. Proposant 6,70 euros par action pour dernier cours de 5,01 euros, FCOF débourse 200 millions d’euros dans l’opération pour retrouver des marges de manœuvre.

Selon son directeur général Thomas Savare, il s’agit « de soustraire Oberthur Technologies à la pression des marchés, ce qui facilitera la réalisation des investissements industriels et stratégiques à long terme nécessaires à son développement futur. […]» (2). Il est vrai que l’éclatement de la bulle internet a précipité la chute du cours du spécialiste de la carte à puces entre 2000 et 2002. Via ce rachat, la maison-mère dispose de tous les leviers pour réorganiser la filiale et envisager sa cession. « Grâce à l’indépendance et à la stabilité que lui offre sa structure familiale, Oberthur Fiduciaire a en effet la chance de pouvoir poursuivre méthodiquement et sereinement des objectifs stratégiques à moyen et à long terme », ajoute Thomas Savare (3). Et parmi les objectifs à moyen terme, il y a la valorisation du groupe

C’est chose faite en 2011, François-Charles Oberthur Fiduciaire ou, plus simplement, Oberthur Fiduciaire, cède pour 1,15 milliards d’euros le nom d’Oberthur Technologies et 90 % des activités carte à puce au fonds de capital-investissement Advent International. Un virage stratégique ambitieux : l’activité cartes à puces & technologies de sécurité représente alors 80 % du revenu du groupe avec un chiffre d’affaires de 814,5 millions d’euros en 2010. Mais c’est précisément pour concentrer les efforts sur le développement de l’activité fiduciaire que les dirigeants décident d’une telle vente. « Nous croyons beaucoup au potentiel de croissance du fiduciaire, notre métier originel », se défend alors Thomas Savare (4).

Il est vrai qu’un tel montant de liquidités permet désormais à Oberthur Fiduciaire de financer le développement de son activité d’impression de sécurité, et de la doter de moyens et d’outils de R&D de premier ordre. Oberthur Fiduciaire acte à ce moment son recentrage sur son activité historique : gravure, design et impression. « Dans un univers de plus en plus concurrentiel, le recentrage sur le cœur de métier est un gage d’excellence et donc de compétitivité. L’économie globalisée est un univers darwiniste : seuls les meilleurs de leur secteur, ceux qui maintiennent leur avance technologique, survivent. En nous recentrant sur l’impression fiduciaire et de sécurité, nous entendions affirmer notre leadership sur ce marché porteur et le rendre plus lisible aux yeux de nos clients », explique le DG d’Oberthur Fiduciaire (5).

Cette « lisibilité » du business-model d’Oberthur Fiduciaire est le résultat d’une mise en cohérence entre les ambitions du groupe, le savoir-faire historique et de nouvelles capacités technologiques. Comme l’explique Laurent Batsch, du Centre de Recherche sur la Gestion de l’Université Paris-Dauphine, le recentrage est certes « le résultat d’une contrainte de performance et de l’impérieuse nécessité de rechercher une position de force sur les marchés concurrentiels ». Mais c’est aussi le « produit d’une recherche de cohérence stratégique et de cohésion » (6).

Cohérence et cohésion
Pour Michel Marchesnay, la spécialisation consiste à « redonner une image cohérente de l’activité, reposant sur une articulation claire des technologies, des produits et de missions » (1). C’est bien là la logique suivie par Oberthur Fiduciaire, entreprise désormais distincte d’Oberthur Technologies.

Oberthur Fiduciaire poursuivra cette logique encore plus loin en cédant fin 2013 son activité Chèques et Titres de Services au groupe EDIIS. Thomas Savare met en avant à ce moment « une opération qui permet de se recentrer sur le design et la fabrication de billets de banque et documents de haute sécurité qui sont le cœur de métier d’Oberthur Fiduciaire » (7). Le périmètre d’Oberthur Fiduciaire est désormais clairement circonscrit : la production de documents sécurisés et de billets de banque.

Si la « cohérence stratégique » se rapporte essentiellement à l’adéquation entre les objectifs et les moyens matériels et technologiques que l’on se donne pour les atteindre, la cohésion se focalise, elle, sur les liens étroits qui unissent l’identité de l’entreprise avec son histoire et son patrimoine immatériel. Dans le cas d’Oberthur, il s’agit de l’artisanat d’art, présent depuis les origines de l’entreprise au 19ème siècle, mais devenu un « artisanat high-tech » depuis son rachat : impression et gravure forment le socle de savoir-faire sur lequel sont venues se greffer les technologies de sécurité, le tout permettant de faire d’Oberthur Fiduciaire l’un des leaders mondiaux de l’impression de billets de banque en l’espace de quelques décennies.

« Dans cet environnement incertain, obligeant les entreprises à se remettre perpétuellement en question, j’estime que posséder une identité forte représente, pour Oberthur Fiduciaire, un formidable atout. […] En l’espèce, Oberthur Fiduciaire a su rester fidèle à sa compétence originelle, - l’impression - mais en la faisant évoluer considérablement aux plans stratégique et technologique », confirme Thomas Savare (5). Une évolution qui s’est également traduite par un changement dans l’approche-produit d’Oberthur Fiduciaire : en abandonnant les chèques et titres de services au profit d’EDIIS, l’imprimeur a aussi réduit l’étalement de sa gamme produit. L’hyperspécialisation progressive d’Oberthur Fiduciaire ne s’est pas seulement traduite par le recentrage sur un métier et un type de produits, mais aussi par la concentration sur le haut-de gamme.

Haut de gamme et sur-mesure
Un billet est un bien particulier au sens où ce qui est produit pour un client, en l’occurrence un pays et sa banque centrale, ne peut être reproduit pour un autre. Bien que les billets soient ensuite imprimés en très grande série, le travail de conception et de design est à chaque fois unique, avec un travail considérable sur la symbolique véhiculée et la qualité des gravures. Réalisation sur-mesure, le billet représente un enjeu national sur lequel l’erreur n’est pas permise. « Un billet de banque est un élément constitutif de l’identité d’une nation. Il doit refléter une histoire, une culture, un socle de valeurs communes, et des symboles de fierté nationale tels que d’illustres personnages ou des monuments qui font sens dans l’esprit des citoyens. D’une certaine manière, c’est aussi un instrument de cohésion d’une nation », détaille Thomas Savare (4), qui ajoute par ailleurs « le critère le plus difficile à interpréter est celui du design. Les billets de banque véhiculent en effet de nombreux symboles, ils doivent contribuer au rayonnement des institutions et du pays tout entier. Si bien que l’esthétique et le design sont pour nous des questions essentielles ».

C’est la raison pour laquelle Oberthur Fiduciaire revendique l’héritage centenaire de l’entreprise en matière de gravure et design. Entre French Touch et notoriété mondiale du luxe et du raffinement à la française le créneau est porteur. Thomas Savare enfonce le clou : « Ce qui compte, ce n'est pas tant l'identité du fabricant. C’est plutôt sa capacité à saisir, comprendre et valoriser l’identité du pays client ! Toutefois, il est vrai que la « french touch », la réputation de bon goût des Français comme le prestige attaché au savoir-faire d'une entreprise séculaire ne sont probablement pas tout à fait étrangers au succès d’Oberthur Fiduciaire. »

Mais Thomas Savare compte bien sur cette base continuer de faire la différence par rapport à ses concurrents. Concevant des produits individualisés à l’extrême, Oberthur Fiduciaire est un champion hexagonal du sur-mesure, avec une conception du métier reposant sur la créativité, et une capacité singulière à comprendre et à restituer graphiquement l’essence d’une culture, voire d’une civilisation différente. Néanmoins, au-delà des questions graphiques et esthétiques, la France est aussi réputée par fournir des solutions technologiques de pointe. Et sur un sujet aussi sensible que les billets de banque, les attentes sont grandes et les exigences sévères.

R&D et haute technologie
« La qualité du design est l’un des principaux critères évalués par l’entité adjudicatrice. Mais c’est un critère éminemment subjectif, qui ne suffit pas en soi à déterminer la qualité d’une candidature. Ainsi, les technologies de sécurité intégrées, la durée de vie du billet ou sa composition entrent en jeu. On ne travaille pas uniquement la surface et la texture du billet : nous faisons également un travail en profondeur, sur la matière », confie Thomas Savare (9). Il va de soi que les billets ne sont pas composés de papier, au sens où le public l’entend généralement. Mais ce que le public ne soupçonne pas non plus, ce sont les multiples dispositifs de sécurité intégrés, certains restant invisibles. Les billets de banque intègrent en effet des technologies qui sont parfois passés des laboratoires au secteur industriel en un temps record, le but étant de rendre les produits inimitables sur la base de technologies qui ne sont pas ou peu répandues.

Le marché des billets fait en effet face à un phénomène inédit : la tentative systématique de copie des produits. L’impression fiduciaire est dès lors une course à l’innovation permanente de façon à toujours devancer les faussaires. La spécialisation et les liquidités dont dispose Oberthur Fiduciaire, lui confère un avantage décisif : la possibilité d’investir massivement en R&D et en technologies de sécurité.

« Nous dépensons environ 5% de notre chiffre d’affaires en R&D, en effet. Nous déposons régulièrement de nouveaux brevets couvrant les technologies que nous mettons en œuvre, en particulier dans deux champs de R&D : la sécurité (avec les technologies anti-scanner ou les patchs à effets optiques par exemple), et la durabilité du billet de banque », détaille Thomas Savare (9). Des micro-technologies aux dernières avancées en matière d’holographie, tout est bon pour compliquer la tâche des faussaires : papiers, encres, filigranes, bandes magnétiques, patchs… La contrefaçon de billets ne peut plus depuis longtemps rester une activité artisanale, et Thomas Savare reconnaît volontiers que « derrière chaque réseau de faussaires, on trouve forcément des ingénieurs. » La spécialisation d’Oberthur Fiduciaire en impression de sécurité et les moyens mis en œuvre lui ont permis de prendre et de conserver une certaine avance sur les faussaires, mais la lutte technologique fait parfois songer au mythe de Sisyphe...

« Initialement, Oberthur n’était nullement spécialisée dans l’impression fiduciaire… Mais, grâce à des décisions hardies qui sont le propre des entrepreneurs, elle a su saisir cette opportunité et s’y tailler une place de choix en valorisant ses compétences traditionnelles », résume le DG d’Oberthur Fiduciaire.

Les dirigeants d’Oberthur Fiduciaire ont pris des risques, le premier étant celui de la reprise d’une entreprise en difficulté. Le choix de la scission puis de la spécialisation en fut un autre, peut-être plus grand encore. Mais quoi qu’il en soit le résultat de ces choix stratégiques est aujourd’hui indiscutable : Oberthur Fiduciaire est inscrit au palmarès des fleurons technologiques français, sur la base d’un savoir-faire unique, qui bien que copié, n’a encore jamais été égalé.


(1) Management Stratégique, Michel Marchesnay, Les Editions de l’ADREG, mai 2004
(2) http://www.lesechos.fr/23/09/2008/lesechos.fr/300295164_oberthur-va-etre-rachete-par-sa-maison-mere-et-retire-de-la-bourse.htm
(3) http://www.daf-mag.fr/Thematique/gestion-financement-1030/Tribunes/financement-des-eti-le-recours-a-la-cotation-est-il-incontournable-247311.htm
(4) http://www.challenges.fr/high-tech/20111201.CHA7747/oberthur-se-retrouve-a-la-tete-d-une-montagne-de-cash.html
(5) http://www.carnetsdubusiness.com/RDV-avec-Thomas-Savare-CEO-d-Oberthur-Fiduciaire_a516.html
(6) Le Recentrage : une revue, Laurent Batsch, Centre de Recherche sur la Gestion (CEREG, CNRS) Université Paris-Dauphine, 2002
(7) http://www.fusacq.com/buzz/ediis-annonce-l-acquisition-des-activites-cheques-et-titres-de-service-d-oberthur-fiduciaire-a63729.html
(8) http://www.nlto.fr/Billets-de-banque-billets-d-art_a705.html
(9) http://www.revue-rms.fr/Thomas-Savare-oberthur-fiduciaire/