Si les grandes entreprises françaises jouissent d’une cote de confiance
positive à l’international, elles redoublent malgré tout d’efforts permanents
afin de conquérir des marchés étrangers attractifs et décrocher des marchés
publics à l’international. Dans cette aventure, les clefs de la négociation
sont aussi bien techniques que culturelles.
Les outils techniques de la joint-venture maitrisée
Alors que la conquête des marchés
étrangers s’impose comme une nécessité pour les entreprises françaises, la
question des méthodes de pénétration de ces marchés se pose. C’est avec la
conviction que « l’union fait la force », que l’association à un
partenaire local public (ou privé) s’avère être un des moyens les plus
efficaces afin de se positionner hors de nos frontières. La joint-venture apparaît
comme l’outil dédié à ce mode de co-entreprise, à l’instar de Total qui a fondé
sa première joint-venture, Qapco,
avec le Qatar en 1974. Les relations entre le géant pétrolier français et le
pays de l’or noir s’entretiennent grâce à ce partenariat particulier ;
Qatofin a également été créée en 2002 à travers une autre joint-venture.
Qui dit co-entreprise, dit solide
connaissance de la compagnie partenaire : de l’état financier à un
éventuel passé judiciaire, du fonctionnement à l’esprit d’entreprise, les
points à contrôler lors de la « due diligence » sont nombreux. L’expérience
de certaines entreprises, comme Volkswagen
en Chine, incite à la prudence concernant les risques pesant sur les secrets
industriels et les brevets, surtout lorsqu‘un Etat est partie prenante. Ce sujet occupe aussi les esprits de tous les acteurs
de la vente des Rafale de Dassault à l’Etat indien, où les questions
des offsets et de transferts technologiques sont cruciales. Une prudence de
rigueur alors que l’entreprise française
encouragerait un partenariat soutenu, via la joint-venture créée avec le groupe
Reliance
Industries.
Il est vrai que ces accords sont
le plus souvent conclus à l’issue de négociations de longue haleine : une
étude publiée par la Banque
Mondiale précise que la majeure partie des accords (85%) nécessitent plus
de 6 mois de préparation. De plus, les entreprises doivent s’attendre à des
contraintes parfois lourdes : limitation des remontées de dividendes,
réinvestissement local, autant de raisons qui diminuent l’attrait des
entreprises pour ce mode d’association : le groupe de conseil Bain, note
une baisse de 25%
par an en moyenne depuis les années 2000. En règle générale, les acteurs préfèrent
avoir un contrôle total de leurs activités, car s’associer en joint-venture,
c’est aussi accepter de ne détenir qu’une fraction des parts sociales,
généralement la moitié.
C’est sur le terrain de la
légitimité nationale que la joint-venture s’avère intéressante. Elle permet un
traitement plus favorable que celui réservé aux investisseurs étrangers, qui
s’implantent via une succursale ou une filiale. Le partenaire local permet de
bénéficier d'une meilleure connaissance d’un marché aux pratiques parfois
inconnues voire secrètes, des coutumes de l'administration et des concurrents. Cette
démarche est prisée dans le milieu de l’industrie en témoigne Renault,
qui a conclu un accord de joint-venture en partenariat avec la mairie de
Moscou. Une manière d’accélérer son développement industriel sur un marché en
expansion mais rude à pénétrer. Pour Renault, ce sont quelques 120 000
véhicules qui sont désormais produits par an dans cette filiale commune. Le
défi qui fait appel à une connaissance aiguisée des codes du marché émergeant
et à une faculté d’adaptation de l’entreprise.
Le défi du transculturalisme
L’exercice est particulièrement périlleux
lorsqu’il s’agit de négocier directement avec un partenaire public ou étatique
étranger, garant d’une identité nationale. C’est que ces « valeurs aussi fondamentales que l’identité
nationale ou la souveraineté, lorsqu’elles sont remises en cause, peuvent faire
facilement basculer la négociation en un combat sans merci », précise Jeswald
Salacuse, expert de la négociation internationale. Thomas Savare, directeur
général d’Oberthur Fiduciaire s’évertue lui aussi à saisir les subtilités de
l’identité nationale pour permettre à son entreprise de conserver une position
de leader sur le marché de l’impression de billets de banque. Symbole
fondamental d’une nation en effet, le billet véhicule bien plus que sa valeur
faciale, à commencer par une identité et des valeurs. Plus de 70 banques
centrales font aujourd’hui appel à la french
touch d’Oberthur Fiduciaire, « que
l’entreprise instille savamment dans le design des billets, non pas pour se
substituer à l’imagerie nationale, mais pour la sublimer », explique
Thomas Savare. L’entreprise, par exemple, s’est récemment associée avec
l’imprimerie de la banque nationale de Bulgarie au sein d’Oberthur
Fiduciaire AD, afin d’imprimer conjointement la monnaie locale.
La maîtrise des codes
interculturels dans le monde des affaires prend une dimension toute particulière
à l’heure de l’internationalisation des équipes de travail et des fusions
transnationales. Une approche culturelle du management amorcée par Edwart T.
Hall qui dans son article, « The
silent language » publié dans la Harvard business Review en 1961, proposait
un guide à l’usage des hommes d’affaires sur les routes du business
international. Eviter les impairs, un objectif que s’est également fixé Guy
Olivier Faure, sociologue, qui présente des clefs de compréhension
notamment dans les relations de négociation franco-chinoises. Avec plus de 400 000
joint-ventures créées en 20 ans, les situations inconfortables progressent aussi
de manière exponentielle. Les entreprises ont alors pour défi de dépasser « l’effet
Babel » ou la confusion des langages, dénoncé par Franck Gauthey dans
« Management interculturel :
représentations et pratiques en question ».
Une certaine conception de la
mondialisation voudrait nous faire croire que les codes culturels du monde des
affaires sont partout les mêmes, notamment via l’universel costume de l’homme
d’affaires. Mais les entreprises sont peut-être les mieux placées pour savoir
qu’il n’en est rien. Et sur cet aspect aussi, les sociétés françaises peuvent
faire la différence.