Dans
un contexte marqué par la chasse à la fraude fiscale et la santé mitigée de l’entrepreneuriat
français, l’équilibre est parfois dur à trouver entre souplesse et éthique. La transmission universelle de patrimoine
(TUP) semble faire converger ces deux impératifs. Éclaircissements sur un outil
juridique encore méconnu en France.
Un
mécanisme juridique peu connu
D'origine jurisprudentielle,
la notion de transmission universelle de patrimoine (TUP) est consacrée à
l'article 1844-5 du Code civil - elle
est également évoquée aux articles L.236-1 et L.236-3 du Code de commerce- qui
stipule qu’ « une société, même en liquidation,
peut être absorbée par une autre société ou participer à la constitution d'une
société nouvelle, par voie de fusion. Elle peut aussi transmettre son patrimoine
par voie de scission à des sociétés existantes ou à des sociétés nouvelles ».
Sa mise en œuvre relève de l’article 1844-5 du Code Civil qui prévoit qu’ « en cas de dissolution, celle-ci entraîne la
transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans
qu'il y ait lieu à liquidation ».
Ainsi, une société qui
détient 100 % du capital d’une autre entreprise, peut transférer la totalité de
son patrimoine vers la société mère. La
société destinée à devenir la confondante, dissout et confond en son sein
l’entité désignée comme la confondue. Ce mode de transmission sui generis concerne toutes les
catégories de sociétés, aussi bien pour la confondue que pour la confondante. Selon
la loi NRE du 15 mai 2001, l’associé unique ne peut être une personne physique
mais uniquement une personne morale. Par ailleurs, la loi de Finances de 2002
précise que la TUP bénéficie du régime fiscal de faveur prévu en matière de
fusions. Elle permet ainsi la reprise des provisions (sauf celles devenues sans
objet) et d’éviter la taxation immédiate des plus-values latentes sur les
éléments d’actif de la société absorbée ainsi que l’imposition du boni de
fusion.
S’il est entré dans le
langage courant, l’acronyme TUP désigne en réalité une opération
juridique : la dissolution confusion (DC). Docteur en droit et auteur du
Guide Pratique de la dissolution-confusion (Editions EFE), Yves Laisné précise
ainsi que « la DC est souvent
désignée sous le nom d’un de ses effets qui est la TUP. (…) mais si on veut
être précis juridiquement parlant, il faut préciser que la DC est l’opération
juridique, la TUP est un des deux effets, et la disparition de la personnalité
morale est l’autre effet ». De
plus, la TUP ou DC ne doivent pas être confondues avec une fusion simplifiée,
qui présente des conséquences juridiques et fiscales distinctes. En effet, la
fusion simplifiée n’est applicable que si la société absorbée est une SARL ou
une SA. De plus, elle présente un formalisme plus lourd que la DC ou TUP,
notamment en ce que la fusion simplifiée nécessite la désignation d’un
commissaire à la fusion, la rédaction d’un traité de fusion, le dépôt préalable
du projet de fusion auprès du Tribunal de commerce et sa publication dans un
journal d’annonces légales ainsi que l’obligation de réunir une assemblée
générale.
Un
outil souple et rapide pour les entreprises
Grâce à un formalisme réduit
à sa plus simple expression, la DC ou TUP s’avère être un outil rapide et
performant de transmission d’entreprise. L’opération est en effet
quasi-automatique et résulte d’un acte juridique unique : la déclaration de
dissolution qui doit faire l’objet d’une publicité par dépôt au greffe du
Tribunal de commerce. Il incombe au représentant de la société devenue unique actionnaire,
d’acter sa décision de dissoudre sa filiale à 100 %. À compter de ce dépôt, le
délai est de 30 jours avant transmission universelle de patrimoine. Ce délai permet
aux créanciers de la société amenée à disparaître de former opposition le cas
échéant. Ce mécanisme juridique s’utilise généralement dans le cadre de
cessions ou de transmissions d’entreprises en bonne santé. Il est également
utilisé à titre de restructuration et intéressant en cas de vente « splitée »
permettant de vendre séparément l’entreprise et le fond de commerce.
C’est également un outil à
destination des entreprises en difficultés comme l’explique Yves Laisné qui propose son expertise à des dirigeants
voulant éviter le dépôt de bilan. « La
dissolution-confusion permet à un entrepreneur de réaliser un transfert de
l’actif et du passif de sa société (contenant les diverses dettes) vers une
société étrangère, en toute légalité. Compte tenu de la difficulté des
institutions de recouvrement à traverser une frontière (difficultés tenant aux
capacités d’adaptation de ces institutions plus qu’au droit lui-même, qui
permet la collaboration fiscal internationale), l’entrepreneur peut gagner le
temps nécessaire au redressement de son entreprise. Grâce à la dissolution
confusion, l’entrepreneur reste de plus aux commandes de son entreprise ».
La DC ou TUP permet surtout de ne pas recourir à la liquidation, procédure
longue et coûteuse. Après absorption de la société initiale, les activités
économiques peuvent donc se poursuivre et ce, sans inquiéter le dirigeant de
l’entreprise.
Lutter contre les dérives
Si elle est fiscalement
attractive, la TUP a dernièrement fait parler d’elle lors de l’examen de la loi
relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière votée par l'Assemblée Nationale du 5 novembre 2013.
Cette dernière prévoyait notamment d’allonger le délai d’opposition des
créanciers à la dissolution, actuellement de 30jours à 60 jours. L’idée est de
lutter contre le détournement de la TUP par des sociétés souhaitant échapper au
contrôle fiscal et ayant recours au travail illégal par le biais de la
TUP-TRANS, à savoir la transmission du patrimoine à une personne morale située
à l’étranger.
Saisi par des sénateurs dans
le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil
Constitutionnel a rendu le 4 décembre dernier, un avis déclarant non conforme à
la Constitution le polémique article 29 de la loi. Par conséquent, le délai
d'opposition des TUP reste fixé à 30 jours. L’avis des Sages permet, selon Sophie Villler avocate, de dissiper « la suspicion de fraude fiscale sur la TUP ».
« En tout état de cause, cette
mesure n’avait pas sa place dans cette loi. Il a été, en effet, déclaré par le
Conseil constitutionnel qu’elle n’avait pas de lien, même indirect, avec les
dispositions du projet de loi. La raison de son introduction dans le projet de
loi n’a donc, elle-même, pas été reconnue comme viable ».
Yves Laisné met néanmoins en garde «les entrepreneurs (qui) doivent se garder de solutions proposées par
certains cabinets proposant des TUPTRANS, selon des procédés peu scrupuleux sur
le plan du droit et de l’éthique. Certains proposent par exemple à des
entrepreneurs en difficultés la création d’une société de type Limited en Angleterre, dans les cas
les plus fréquents ». Société qui disparaît peu de temps après
l’opération de TUPTRANS. L’amalgame
n’est pas systématique pour cet expert qui veille à ce que « les confondantes durent dans le temps et existent comme toute
entreprise : elles ont un siège, des bureaux, des collaborateurs permanents,
elles paient des impôts, gèrent le courrier et, lorsqu’il le faut, négocient
avec les créanciers ». Et permettent à la TUP de gagner ses lettres de
noblesse.